Château
de Léotoing
Depuis Montjovis au-dessus de
Langeac, depuis Mercoeur, l'ancien et fier castel d'Ardes sur Couze,
comme aussi de la Tour de Vichel ou du Puy Saint-Romain – hauts
lieux d'Auvergne employés de tout à la transmission des nouvelles,
depuis les Celtes jusqu'à Chappes – on le voyait ce château-fort
de Léotoing qui, avec son donjon découronné tel un doigt levé
vers le ciel et ses appartements à corbeaux, demeure encore,
vigilantes pierres, le gardien tutélaire de cette magnifique vallée
de l'Allagnon.
Si le touriste qui va de Lempdes à
Massiac ne songe à l'apercevoir au-dessus de sa route à gauche, par
contre à son retour, dès l'entrée à Lanau, la hautaine silhouette
des ruines prestigieuses encore du vieux castel s'impose et capte
l'attention.
Il est possible d'atteindre Léotoing
soit par la route venant de Grenier-Montgon, soit par celle de
Blesle, en prenant à droite dès l'entrée à Lanau, soit aussi par
Lempdes, en ne prenant ni à droite, ni à gauche – ni Aurillac, ni
Brioude – mais en allant droitement passer la voie ferrée et son
incommode dos d'âne. C'est ce qu'on appelle prendre « la route impériale ». A une lieue de Lempdes, après trois virages en
épingles à cheveux et une bonne montée, en pointe avancée, au
ponant, vous apparaîtra le château.
Il faut laisser sa voiture à
l'entrée du village et aller à pied. Vous franchirez alors une
porte gothique du XIIIe
siècle qui marque l'entrée de l'ancien rempart disparu et vous vous
trouverez dans la basse-cour du temps jadis.
De ce temps-là, on ne possède que
fort peu de documents sur les origines et l'histoire de Léotoing. Il
faut éplucher le cartulaire de Sauxillanges pour trouver trace de
ses premiers seigneurs, trois frères et tous trois chevaliers,
Bernard, Pierre et Béraud. Quinze années plus tard, sous le règne
de Philippe 1er – nous sommes au temps de la première croisade, en
1095 – un Pons de Léotoing et ses fils font don au monastère de
Sauxillanges de leurs droits sur l'église Saint-Vincent de Léotoing.
On sait encore qu'un Antoine de Léotoing fut chanoine à St-Julien
de Brioude vers 1080. Plusieurs Bernard, plusieurs autres Pierre se
succède, chevaliers à Léotoing, ou moines à Sauxillanges, on note
dans le spicilégium Brivatense, l'un des tous premiers, sans doute,
et des plus importants documents historiques du Brivadois qu'un
Durand fut chanoine-comte de Brioude.
Le châpitre de Brioude devint une
institution assez extraordinaire qui mena grand train : ne fallait-il
pas pour y entrer posséder au moins quatre quartiers de noblesse !
Et qui nécessita l'intervention successive de trois papes : LuciusII, Eugène III
et Alexandre III pour
mettre terme à ses scandaleuses orgies. Mais ceci est une autre et
extravagante histoire.
Revenons donc à Léotoing... En
1241, le 17 février, Béraud de Léotoing, chevalier et deuxième du
nom, signa une transaction intervenue entre Ameline, abbesse du
couvent de Blesle et Béraud de Mercoeur, le farouche chasseur de
loups d'Ardes-sur-Couze.
Béraud de Léotoing mourut vers
1250. Il était le dernier représentant de la branche aînée des
Léotoing. Cinq années plus tard, Robert Ier,
Dauphin d'Auvergne, qui depuis longtemps convoitait ce château
contraignit la veuve à signer une transaction qui pratiquement la
dépouillait de ses biens. Ainsi Robert, seigneur de Montrognon,
seigneur de Vodable et de bien d'autres lieux devint seigneur de
Léotoing qu'il légua à son second fils Hugues. Dès lors Léotoing
incorporé au Dauphiné d'Auvergne suivit la fortune et le destin de
ses puissants maîtres.
Le titre de Dauphin emprunté à une
aïeule de Savoie par Guillaume VII,
étant devenu un nom propre en 1262, Hugues Dauphin rend foi-hommage
à Alphonse, Comte de Poitiers et frère de Saint-Louis, pour son
château de Léotoing comme pour ceux également de Massiac, de
Vernière et de Loubarcet.
Autour du donjon dressé sur son
inaccessible pic, au fil des ans les Léotoing avaient édifié une
remarquable forteresse. Le successeur d'Hugues, Béraud II,
Dauphin d'Auvergne compléta l'ensemble en construisant un
vaste logis d'une part, et de l'autre en agrandissant la chapelle qui
devint l'église Saint-Vincent, que l'on peut admirer tout à droite
des ruines. Il s'agit là d'un monument historique classé. La nef et
la chapelle Sud peuvent être datées du XIe
siècle, la chapelle des fonts baptismaux est, elle, du Xe.
Le dernier des Dauphins, Béraud III,
mourut en 1426 ; son
unique fille, Jeanne, porta Léotoing au Prince Louis de Bourbon, le
premier Comte de Montpensier et grand-père du fameux Charles III
de Bourbon , connétable de France dont on connaît les
démêlés avec la jalouse et possessive Louise de Savoie. C'est elle
qui poussa son fils François, le 1er du nom, à dépouiller Charles
! Les biens du connétable, tristement célèbre par sa trahison,
mais dont les vraies responsabilités n'appartiennent qu'au roi
passèrent à la couronne de France. Un bel héritage, avec les
Comtés de Sancerre, de Clermont, et le Dauphiné d'Auvergne érigé
en sa faveur en Comté de Montpensier, avec Aigueperse pour capitale
! Passé à la maison de France le château de Léotoing vit ses
seigneurs, princes de sang, se désintéresser de son sort. A la
suite d'une visite, le 27 Octobre 1703, le secrétaire de Philippe
d'Orléans, frère cadet de Louis signale à son maître que le
castel est dans le plus lamentable état, le plus complet abandon. Il
n'avait donc pas attendu l'ordonnance de Richelieu qui en 1633
ordonnait le démantèlement des châteaux-forts. Déjà Léotoing
servait de carrière de pierres aux paysans du coin.
Un petit sentier de chèvre permet
d'en faire le tour et d'avoir une étonnante perspective sur la
vallée de l'Allagnon. Les ruines dominent la rivière comme une
réplique du vieux burg de Bacharat en Rhénanie. Il ne manque qu'une
Loreleï pour descendre tremper ses longs cheveux dans l'Allagnon et
y nouer les barques pour d'autres grottes que Calypso, à ceci près
que notre rivière n'est pas le Rhin à Mayence.
On raconte pourtant une curieuse
histoire. Du château de Léotoing, on voyait bien celui d'Auzon. Une
jeune fille des seigneurs d'Auzon, Marguerite d'Espinchal, voulait
épouser un jeune seigneur de Léotoing. Nait alors, comme on peut
s'en douter une sombre et curieuse aventure qui ressemble – mais
bien avant la lettre – à la tragédie des Montaigus et des
Capulets ! Mais celle-là finira bien.
- Tenez ce philtre magique, monseigneur, c'est une potion qui fera passer pour morte votre petite fiancée. Le temps au moins que pourront le croire ses parents et la mettre en terre. Mais il faudra vous hâter d'ouvrir le cercueil car il y aurait alors, si vous tardiez, de bien grands risques pour elle.
Les mains de Blanche de Paulet, la
sorcière de Vic-le-Comte se refermèrent avidement sur la bourse
pleine d'or que lui jeta son jeune visiteur.
Ce jeune visiteur, Hugues de Léotoing, à bride abattue s'en revint au château. Il fallait au plutôt entretenir Marguerite de cet étonnant projet: la faire croire morte à tous les d'Espinchal. Depuis un an déjà le damoiseau avait subtilement trouvé un moyen de communiquer, par feu – avec sa belle.
Ce jeune visiteur, Hugues de Léotoing, à bride abattue s'en revint au château. Il fallait au plutôt entretenir Marguerite de cet étonnant projet: la faire croire morte à tous les d'Espinchal. Depuis un an déjà le damoiseau avait subtilement trouvé un moyen de communiquer, par feu – avec sa belle.
- Vite mes amis, cria-t-il à deux valets dans la confidence, il faut allumer nos chandelles à la fenêtre du donjon dès que minuit sonnera.
Sur la haute tour du castel d'Auzon,
deux vigiles pour le service de Marguerite faisaient le guet. La nuit
était d'encre. L'un d'eux d'une flèche avait marqué la direction
de Léotoing. Il fit une visée.
- C'est le signal ! S'exclama-t-il, tu notes.
L'autre avait bien entendu. A son
tour, il fit tel un indien de roman fonctionner sa lanterne. Au terme
d'une brève conversation par simples signaux optiques, Marguerite
sut qu'elle boirait son philtre magique le lendemain – une servante
oserait l'apporter dans un panier de fruits – et que le
surlendemain son réveil serait celui de l'amour.
Le surlendemain fut celui de la mort.
De la mort apparente bien sûr. Marguerite dès sa potion bue tomba
en catalepsie et le bruit du décès fit aussitôt accourir pleureurs
et pleureuses à gages. Au soir, dit-on, messe dite, on la porta en
terre au cimetière d'Auzon et chacun pleura sur tant de beauté
perdue. Pas si perdue que cela !
- Hâtez-vous compagnons, hâtez-vous !
Il était minuit passé. Damoiseau
Hugues et ses deux amis remuaient la terre encore fraîche pour en
extirper le cercueil. Pourtant l'orage grondait et l'on eut pu penser
que le ciel se courrouçait de tant de noire supercherie.
Blanche de Paulet avait bien rempli
son contrat. Quand Hugues ouvrit le cercueil, Marguerite dormait
encore, mais avec un pouls si faible que tout ignorant l'eût cru
morte sans rémission. La pluie cessa, entre deux lointains éclairs
le pâle visage de la jouvencelle s'anima. Hugues la prit dans ses
bras; le cercueil vide, lui, reprit sa place.
D'Auzon à Léotoing; quatre lieues à
cheval, ce n'était pas le bout du monde!... Hugues et Marguerite ont
vécu heureux, je crois, puisque bien cachés, si bien que nous
n'avons jamais su combien d'enfants ils eurent.
Ce que nous savons et que les
habitants du fief surent encore mieux que nous par contre, c'est que
Robert et Hugues, de concert, rédigèrent une charte pour leurs
serfs de Léotoing. Des prémices aux lois sociales du XXe
siècle mais huit cents plus tôt ou presque. Cette charte exemptait
les habitants de la « corvée ». Il faut bien se rappeler
que le serf était alors corvéable à merci. Elle réglait aussi
l'entretien des fortifications, le guet, la garde, la redevance due
pour l'utilisation du four banal, le droit d'ost également,
c'est-à-dire du service militaire en quelque sorte dû au seigneur
et j'en passe... Mais il est bon de signaler que l'histoire de France
n'est pas faite de nos seules campagnes « militaires »,
que la plupart de nos lois, dites sociales, ont leurs racines dans
les mesures que du temps même de la féodalité des seigneurs, qui
pouvaient être aussi hommes de sagesse et raison, ont su prendre.
Il faut bien rendre aux gaulois ce
qui est aux gaulois, et aux seigneurs ce qui n'est pas au roi.
René CROZET - Chroniques extraordinaires des châteaux en Auvergne - Ed Horvath
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